Ashes To Ashes (David Bowie)

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Axl Rose & David Bowie, image tirée du site Awesome people hanging out together

Ce poste fut initialement publié sur le site Toutelaculture.com le 30 avril 2013 comme critique de l’exposition ‘David Bowie is‘ qui venait de s’ouvrir au Victoria & Albert Museum de Londres. Je ne connaissais pas du tout David Bowie avant d’y mettre les pieds. Quelques semaines auparavant, j’avais joué à Dites-moi qui je suis, ce jeu de fin de soirée où vos amis vous collent le nom de quelqu’un sur le front et vous devez deviner qui est le personnage dont on vous a affublé. J’étais David Bowie, et j’avais séché comme une courge parce que je ne connaissais ni sa vie ni ses chansons. Honte à moi. Heureusement que le destin m’a rattrapée. J’ai mis les pieds dans l’expo ‘David Bowie is’ un mois plus tard, un vendredi soir après le boulot, la veille d’un départ en voyage. Autant dire que je comptais plier ça en une heure max. Mais j’ai été immédiatement saisie. En fait, je crois que de toutes les expos vues dans ma vie, c’est l’expo où je suis restée le plus longtemps. Trois heures d’immersion totale d’une intensité folle. Je suis tombée amoureuse du génie pas à pas. C’était la moindre des choses.

“Fin mars 2013 s’est ouverte au Victoria & Albert Museum – célèbre musée du design londonien – une rétrospective sans précédent retraçant presque 50 ans de carrière de l’une des figures majeures de la pop du XXe et XXIe siècle. Ultra-recherchée, sophistiquée et grandiloquente, à l’image de son sujet, l’exposition ‘David Bowie is’ réussit le pari de captiver les inconditionnels de la star autant que les néophytes, pouvant tenir lieu de véritable ‘David Bowie pour les Nuls’. D’ailleurs, le succès est sans appel: il n’est plus possible de réserver en ligne jusqu’à nouvel ordre, mais quelques billets sont en vente sur place chaque jour.

David Bowie, né David Jones à Londres en 1947, fait partie de ces rares artistes inclassables. En sillonnant la très dense exposition qui lui est consacrée (comptez deux heures minimum pour vous repaître de tous ses trésors), se dessine un arbre généalogique surréaliste des influences qu’il capta ou généra. David Bowie pourrait être le fils de Greta Garbo pour sa somptuosité plastique, froide et androgyne. Il cultiva d’ailleurs sa fascination esthétique pour les stars hollywoodiennes des années 40, comme sur la pochette de l’album Hunky Dory en 1971. Il pourrait être le frère de Kate Bush pour son côté burlesque, parfois teinté d’expressionnisme allemand, repoussant sans cesse les frontières de la performance. Enfin, strictement vestimentairement parlant, il pourrait être le grand-oncle de Lady Gaga, qui lui aurait piqué dès le plus jeune âge ses semelles compensées et autres improbables créations de designer.

Mais arrêtons là les comparaisons. Bowie a inspiré tout le monde, que ce soit dans le milieu de la musique, de la mode ou du design. Ses références sont tout aussi multiples, et l’exposition met en évidence de façon passionnante ses diverses sources d’inspiration artistique. Dadaïsme, cabaret, mime, expressionnisme allemand ou encore ‘Die Brücke’, autre mouvement d’origine allemande y figurent. De cette affinité particulière avec la culture du pays de Goethe émergea une période berlinoise particulièrement fructueuse à la fin des années 70. Sa Trilogie berlinoise (comprenant les albums Low, Heroes, et Lodger) naquit de collaborations avec Iggy Pop ou Brian Eno. Certaines peintures réalisées par Bowie à cette époque sont exposées, témoignant de sa lutte contre la drogue et le star system.

Les collaborations de Bowie avec des artistes de tout poil sont mises en avant, dont une émouvante vidéo de son unique rencontre avec Andy Warhol, en 1971. Warhol tient la caméra et Bowie, qui nous dit-on n’avait aucune envie d’être filmé, improvise une sorte de danse grotesque. Plus loin, parmi de nombreux costumes de scène qui façonnèrent sa légende, un manteau aux couleurs de l’Union Jack imaginé par Alexander McQueen nous apprend que c’est Bowie qui sollicita en 1997 le designer alors fraîchement diplômé, contribuant ainsi à sa renommée.

Et la musique dans tout ça? Elle est omniprésente, et c’est ce qui fait de l’exposition une véritable réussite. Une bande-sonore diffusée par audio-guide et particulièrement bien ficelée immerge le visiteur dans les tubes de l’artiste et accompagne une collection de supports visuels impressionnante: archives télé, vidéos informelles, extraits de concerts, clips, partitions, paroles de chanson manuscrites sur feuilles lignées d’écolier… Ces documents inédits sont particulièrement émouvants, car d’une écriture maladroite et enfantine s’étale sous nos yeux la genèse de chansons mythiques. Les croquis et autres notes de l’artiste éclairent également sa démarche, notamment ses réflexions sur la construction du personnage de Ziggy Stardust, son histoire, sa psychologie.

Les nombreux personnages scéniques de Bowie – ses ‘Persona’ – tels que Major Tom, Ziggy Stardust ou Aladdin Sane, sont décortiqués pour mieux mettre à jour le concept même de performances et de transformations inhérent à l’oeuvre de l’artiste. Sa modernité, son apport considérable dans la création d’images fortes et dans le jeu de genre n’en deviennent que plus frappants. Le savant mélange masculin-féminin et le vent de liberté sexuelle qu’il insuffla par son style sont des mines d’or pour les chercheurs en questions de genre.

Icône androgyne, incarnation de la bisexualité, la beauté et l’affirmation de soi de David Bowie n’en finissent pas de troubler. Certaines tenues des années 70-80 sont si extravagantes, si suggestives, qu’il est permis de se demander comment une telle audace serait reçue aujourd’hui de la part d’un artiste masculin. Bowie connaîtrait-il le même succès à notre époque en s’imposant avec la même liberté, la même impertinence? Et malgré le chemin qu’il a pavé, existe-t-il une place pour son héritier spirituel? Sur ce florilège d’images d’archives, Bowie n’en apparaît que plus singulier, plus unique, et sa postérité est assurée grâce à son talent et sa beauté folle.”

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Keith Richards, Tina Turner & David Bowie par Bob Gruen, 1983

Ashes to Ashes, 1980

Portraits of Frenchies #2 : La Fille qui n’aimait pas gâcher

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Je ne connais que des gens inhabituels.

Ma copine C² fait partie de ces quelques personnes que je vois toujours dans une ville différente, parce que nous sommes toutes deux en refonte perpétuelle de nos aspirations. 

Nous nous sommes connues à Londres, où j’habitais depuis environ un an, tandis qu’elle était venue étudier l’histoire de l’art dans le cadre d’un échange Erasmus. Elle écrivait un mémoire sur le motif du pont dans la peinture de Monet. Une amie commune, Σ², nous avait organisé une “blind date” amicale dans l’idée qu’on aurait des atomes crochus.

C² est repartie vivre à Paris, où nous nous sommes croisées quelques fois, mais pas tant que ça non plus. On a notamment manifesté ensemble pour soutenir le mariage gay. 

En septembre dernier, j’ai eu de ses nouvelles. Elle partait passer trois mois à New York, seulement deux semaines après avoir emménagé avec son amoureux à Paris. “Il a dû être touché”, me suis-je dit. Et j’ai aussi vachement rigolé, parce que je trouve ça génial de commencer la vie commune sur des bases claires. Le hasard avait voulu que je séjourne à New York en même temps qu’elle. Mi-octobre, on s’est donc retrouvées dans l’appart de Brooklyn où je passais la semaine, pour manger des pâtes en forme de lama. Le samedi suivant on a fait un pèlerinage au Zabar’s , l’épicerie fine chic et kasher de Broadway, parce que c’est là que Meg Ryan faisait ses courses dans “Vous avez un message”. C² avait la liste de tous les lieux que l’on voit dans le film. Ne me demandez pas pourquoi.

Elle a décidé au pied levé de venir m’accompagner à Philadelphie où je partais quelques jours plus tard. “Peut-être qu’on fera le tour de tous les lieux que l’on voit dans le film avec Tom Hanks”, ai-je pensé. Comme je ne savais pas encore où j’allais habiter (classique), elle a eu la bonté de nous dégotter un AirBnB avec la déco la plus moche du monde, mais l’hôte le plus chou qui soit. Du coup, on ne faisait pas trop attention aux dessins de fleurs fanées accrochés au mur (véridique).

C’est à Philadelphie qu’on est vraiment devenues amies, parce qu’on ne s’étaient jamais vues plusieurs jours consécutifs avant ce voyage. On a vraiment beaucoup ri. On se moquait de tous les objets moches de la chambre où on dormait, et Dieu sait que c’était une joie sans cesse renouvelée même après plusieurs jours.

C’est durant ce séjour que j’ai percé une des caractéristiques de C². Elle adore récupérer et elle déteste gâcher, surtout en matière de nourriture. Elle appelle ça “faire son intendance”. On était raccord là-dessus, parce que je ne suis pas la dernière pour le système D et les trucs gratos, mais je dois avouer que sur ce coup-là j’ai trouvé mon maître (je n’ose pas dire “ma maîtresse”, sinon ça fait bizarre.)

Déjà, C² est arrivée de New York par le bus avec un reste de quiche dans son sac à main. “Sinon elle n’aurait plus été bonne à mon retour”, m’a-t-elle expliqué, alors qu’elle prêchait une convertie. Quand on est allées à l’American Diner du quartier – où soit dit en passant on a passé des soirées mémorables – elle mangeait le ketchup à la petite cuillère. Là, j’ai commencé à la mettre en boîte: “Ben oui, c’est cadeau, autant en profiter!”

Le meilleur restait à venir. Un soir, nous nous sommes retrouvées à la fin de notre journée philadelphienne respective. Je lui ai raconté ma journée d’atelier de 5 Rhythms dance et mon attirance pour le prof de yoga gay dont j’adorais la couleur de peau. Elle, elle m’a raconté avec des yeux pétillants qu’elle avait pénétré dans un jardin communautaire où elle avait cueilli du persil et des tomates, et que ça avait bien agrémenté son pique-nique. C’est à cet instant qu’elle a accédé au rang de mes idoles. Dans la foulée, elle m’a dit qu’un de ses lieux parisiens préférés était le cimetière Saint-Vincent, à Montmartre, et qu’elle y avait déjà cueilli des figues avec lesquelles elle avait fait de la confiture maison. Suite à cette fabuleuse anecdote, je l’ai rebaptisée “La Cueilleuse urbaine”.

Après ces quelques jours enchanteurs, je suis rentrée à Londres et elle à New York.

A mon retour, j’ai reçu de ses nouvelles par email: “Je vais aller à la plage de Rockaway cet après-midi pour ramasser des moules!”

Ben voyons. Une mouclade à la new yorkaise.

Il n’y a vraiment qu’elle pour faire ça.

Portraits of Frenchies #1 : Le Type qui ne m’a jamais oubliée

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Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Facebook n’en était qu’à ses balbutiements.

J’étais étudiante en médiation culturelle à Paris 3. Poussée par mes copines américaines qui voulaient partager leurs photomontages bidons où David Hasselhoff était souvent à l’honneur, je m’étais créé un compte Myspace que je n’utilisais jamais. Sur ma photo de profil, je faisais la vaisselle en pleurant. Je me souviens exactement du contexte dans lequel elle avait été prise et de la raison de mes larmes.

Un jour de l’été 2008, je reçus un message d’un illustre inconnu qui se décrivait comme photographe amateur. Si ma mémoire ne me trahit pas – il faudrait que j’aille vérifier, si toutefois MySpace existe encore – il s’agissait d’une courte phrase comme “Et je t’ai vue…” Il avait trouvé ma photo inhabituelle et avait éprouvé le besoin irrépressible d’établir un contact.

Sans savoir pourquoi, j’ai répondu. Sans savoir pourquoi, on a commencé à dialoguer. Sans savoir comment, on s’est retrouvé dans un genre de pique-nique blind date sur le Pont des Arts. À Paris, c’était la mode du gaspacho et des pique-niques sur le Pont des Arts à cette époque. Je ne sais pas si c’est toujours le cas.

On s’est vus à plusieurs reprises cet été-là, je ne saurais dire combien de fois. On se retrouvait dans divers lieux de la capitale et on passait de longs moments à parler. Je lui racontais ma vie par épisodes. On avait même passé une journée à Meudon, la banlieue de mon enfance, pour faire un pèlerinage nostalgique des lieux où j’ai grandi: ma première maison, mon école maternelle de hippies, la boutique bio que tenaient ensemble ma mère et ma tante. Je trouvais étrange qu’il s’intéresse à ce type de trucs alors qu’il me connaissait à peine. Tout paraissait le captiver. Il était inhabituel aussi, dans son genre. Il semblait vraiment chercher à percer ce qui lui apparaissait comme un mystère. Finalement, peu de gens ont cherché à me connaître autant en détail que lui.

Il ne s’est rien passé de romantique entre nous, rien du tout, car j’étais sur la fin de ma période “Je-veux-avoir-un-copain-car-c’est-ce-que-font-les-filles-qui-portent-des-jupes.” J’ai explosé dans ma vraie direction l’année suivante. Ce fut magnifique, libérateur, mais éprouvant nerveusement.

Je ne sais plus comment on a perdu contact, je crois qu’un jour j’ai arrêté de répondre ou de donner des nouvelles. Il n’y avait pas eu d’incident particulier. Ma mémoire est floue.

Les années ont passé, je suis partie vivre à Berlin, un peu Paris, Londres, un peu New York (cf. colonne Where? de ce blog). Je n’ai pas été particulièrement facile à localiser.

Il m’a retrouvée sur Facebook en 2011, trois ans après notre rencontre, et m’a écrit pour reprendre contact, me racontant que certaines coïncidences continuaient à le faire penser à moi de temps à autres. Je n’ai trouvé son message qu’en 2013, en apprenant l’existence de l’onglet “Autre” de mes Messages privés (jetez y un œil, ça vaut le coup d’avoir des surprises de ce genre). On est ainsi devenus amis virtuels.

Il s’enquérait de mes visites à Paris, qui n’arrivaient jamais, afin qu’on se revoie enfin. Je trouvais émouvant qu’il ne m’ait jamais oubliée après tout ce temps, alors que notre amitié fut plutôt brève.

En novembre dernier – il y a deux semaines – mon grand retour parisien fut finalement programmé. Le dernier jour, on s’est donné rendez-vous pour déjeuner dans le 19ème arrondissement, mon fief éternel. On ne s’était pas vus depuis plus de six ans.

Je suis arrivée la première. Il n’avait pas du tout changé physiquement. Je pense que j’avais plus changé que lui. Je me sentais à des années lumière de celle qu’il avait connue alors. Bizarrement, j’ai eu le sentiment de revoir quelqu’un qui faisait partie de ma vie. Il m’a dit qu’il avait toujours continué à penser à moi, parce que d’une certaine façon c’est de moi qu’il s’était jamais senti le plus proche, ou presque, et que les moments qu’on avait passés ensemble lui restaient comme des souvenirs intenses, hors du temps et des conventions. Il m’a dit que mon originalité l’avait marqué, ou plutôt ma quête d’un mode de vie autre. Je ne m’étais jamais rendu compte de l’impact que j’avais eu dans sa vie, je n’en savais rien du tout. J’ai été reconnaissante qu’il m’en parle.

On devine rarement l’importance que l’on peut avoir pour les gens s’ils ne nous en font pas part. Il faudrait toujours dire à ceux qui nous marquent, nous influencent ou nous attirent ce qu’ils représentent dans notre vie, quel que soit le lien que l’on a avec ces personnes et quels que soient la force, la durée ou la nature de ce coup de coeur. Je questionne régulièrement mon utilité, comme la plupart d’entre nous je suppose. Je suis souvent traversée par la pensée parasite que je ne sers à rien. C’est euphorisant d’apprendre un jour par hasard l’impact parfois insoupçonnable qui a été le nôtre. Une fois n’est pas coutume, j’ai été touchée.

On a refait la genèse de notre rencontre. MySpace… La photo de la fille qui pleure en faisant la vaisselle.. Il a voulu savoir pourquoi j’avais disparu. “Ce n’est pas pour te faire des reproches…” J’ai compris qu’il avait besoin de comprendre. Je n’ai su que dire, car je ne me souviens de rien sinon que je me sentais très mal affectivement à cette époque. Les circonstances de mon évaporation se sont effacées de ma mémoire.

Comment résumer les six dernières années quand on a à peine donné de ses nouvelles? Faire une liste des déménagements, des pays, des villes? Lui dépeindre mon mélodrame lesbien grandiloquent en me forçant de ne pas y mettre trop de verve politique pour ne pas passer pour une Femen tout de suite? Lui filer l’URL de mon blog d’exploratrice urbaine en lui disant: “Tout est là”?

“Et, toi alors?”, me suis-je finalement aventurée après un bon moment déjà. Il m’a répondu en toute simplicité qu’il était marié et avait deux enfants. “Ah bon! Tu ne m’as rien dit!” -“Tu ne m’as jamais demandé.” Ouch. Il avait rencontré sa future femme plus ou moins au moment où j’avais disparu de la circulation. J’étais contente pour lui. Il était heureux mais m’a confié souffrir d’un manque d’espace de liberté mentale, de créativité. La logistique et les contraintes pratiques de la vie de famille semblaient lui peser. Il était ardemment à la recherche d’une gestion discontinue du temps. C’est sûr que je n’ai pas ce genre de problème. En même temps, j’ai 31 ans et pas l’ombre du début d’une idée de où, comment et avec qui je pourrais avoir des enfants – avec en sympathique bonus une mère dont le hobby est de militer pour que les gays ne se reproduisent pas. Y a-t-il un type de difficultés plus enviable, un style de vie qui prévaut sur l’autre? La réponse est non.

On a parlé un long moment. J’étais très en retard mais je voulais prendre le temps de reconnecter vraiment. Je lui devais bien ça après toutes ces années et la fin en queue de poisson que je lui avais infligée.

Il faisait toujours de la photo et a sorti son appareil au milieu de l’Avenue Jean-Jaurès en me demandant s’il pouvait faire mon portrait. On a manqué se faire écraser plusieurs fois tandis je posais au milieu de la circulation, c’était rigolo. On recommençait déjà à se marrer en situations incongrues.

Il m’a raccompagnée jusqu’à la porte. Je lui ai promis que je n’attendrais pas six ans de plus pour le revoir, et que je ne me volatiliserais plus sans explication. Il m’a dit qu’il m’enverrait les photos qu’il venait de prendre.

Je n’ai encore rien reçu.

Les Hommes en Burberry

martine et la lutte des classes

C’était l’époque où je fumais des Vogues abricot. Je vivais seule dans un petit studio du 19ème arrondissement de Paris.

C’est, par erreur me semblait-il, que j’avais trouvé le moyen de me faire embaucher comme ouvreuse dans un lieu de luxe discret : la renommée Salle Pleyel, temple de la musique classique et de la bienséance. (Je n’ai jamais su, jusqu’à aujourd’hui, pourquoi je bosse là où je bosse).

Chaque fois que j’atteignais l’imposant hall dont la moquette de velours rouge étouffait le bruit de mes bottes sales, le même sentiment rassurant m’envahissait. J’éprouvais simultanément une honte vague et dissimulée : j’avais l’impression d’être une impostrice. Ma présence entre ces murs blancs de la culture savante n’était pas légitime. Je faisais des noeuds dans mes collants pour ne pas qu’ils filent. Je parlais du “Piano Tiède” au lieu du “Clavier bien tempéré” (fugue de Bach, NDLR) et mes collègues musiciens, musicologues et mélomanes avaient réussi à me faire dire à des spectateurs que l’orchestre avait joué en rappel la Symphonie pour flûte de Beethoven. Je finis par ne pas me faire réembaucher la saison suivante à cause “d’un petit souci de présentation” (sic).

Il semblait que rien de mal ne pouvait arriver sur le tapis rouge, comme Audrey Hepburn déclarait dans un film culte que rien de mal ne peut arriver chez Tiffany.

Derrière le comptoir du vestiaire où les bourgeois déposaient leurs fringues de luxe, j’interceptais d’onéreux effluves parfumés. Les bourgeois m’apaisaient. Ils avaient l’air tranquille et satisfait d’eux-mêmes, loin de ma merde de bourses étudiantes et d’APL.

Dans les vestiaires d’une grande salle de concert parisienne, les marques cotées défilent. Mais une seule m’intéressait. J’avais en effet une lubie imbécile : je fantasmais sur les hommes en Burberry. Je ne sais pas pourquoi mon cœur avait jeté son dévolu à cet endroit particulier. Je reconnaissais immanquablement le beige à la fois caractéristique et ordinaire de ces imperméables. Je les croisais relativement souvent, pour mon plus grand plaisir. Je les plaçais avec un soin particulier sur le cintre, en observant la doublure à carreaux écossais devenue familière, puis les lettres dorées de l’étiquette qui me confirmaient que j’avais deviné juste : B-U-R-B-E-R-R-Y. Je pensais naïvement qu’un homme en Burberry ne peut être foncièrement mauvais. J’attachais toujours à cette population masculine une amabilité arbitraire. Ils me plaisaient, je me foutais de savoir pourquoi. J’aurais voulu être leur fille, leur femme, leur maîtresse, même leur secrétaire. J’aurais voulu profiter par bribes de leur argent et de leur élégance, ce que je faisais à ma façon pendant environ 25 secondes, le temps que leur opération de vestiaire soit effectuée et qu’ils m’aient gratifiée d’un « Merci, mademoiselle » en échange d’un ticket jaune de mauvais goût.

J’imaginais leur vie, je me demandais avec fascination comment ils étaient parvenus à entrer dans le cercle restreint des Hommes en Burberry. J’effleurais à peine leur existence, mais eux ponctuaient la mienne. Je les aimais sincèrement. Ils me faisaient rêver à d’autres sphères que, toutes considérations faites, je préférais continuer à idéaliser. La réalité de leur vie, certainement plus sordide que la mienne à bien des égards, ne m’intéressait pas. Je me contentais pleinement de respirer leur luxe calme en guise d’antidépresseur inavouable.

Les Hommes en Burberry passaient, défilaient, se ressemblaient, mais me procuraient à tout coup la même étincelle brève et vivifiante.

Ecrit en 2008, revu et corrigé au passé en 2014

J’ai écrit à CHANEL…

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… pour leur filer mes supers idées de marketing débilo-humoristico-pseudo-féministes:

(chez CHANEL tout est en MAJUSCULES).

“CHER CHANEL,

POUR MES 30 ANS, J’AI REÇU EN CADEAU DE MON EX-AMOUREUSE MON PREMIER ROUGE A LÈVRES CHANEL. (DEPUIS, J’AI FAIT VOEU DE NE PLUS RIEN METTRE D’AUTRE SUR MON VISAGE. JE DIS À QUI VEUT L’ENTENDRE: “JE NE SUIS PAS UNE LESBIENNE LIPSTICK, JE SUIS UNE LESBIENNE CHANEL.” ÇA PLAIT BEAUCOUP. VOUS DEVRIEZ UTILISER CE SLOGAN, JE VOUS L’OFFRE.)

QUAND J’AI SORTI LE ROUGE A LÈVRES DE SON ETUI, J’AI CRU LIRE QUE LA NUANCE S’APPELAIT “PARITÉ” ET J’AI TROUVÉ ÇA FORMIDABLE. EN RÉALITÉ, C’ÉTAIT “PIRATE”.

DOMMAGE.

J’AURAIS ADORÉ PORTER UN MAQUILLAGE QUI INSUFFLE “L’EMPOWERMENT” AUX FEMMES. A QUAND LE ROUGE “PARITÉ”, “ÉGALITÉ DES SALAIRES”, “POSTE À RESPONSABILITÉS”… VOIRE MÊME LA NUANCE “FUCK YOU I ROCK THE WORLD”?

COCO CHANEL ÉTAIT LIBRE, ACCOMPLIE, AVANT-GARDISTE, NON-CONFORMISTE. JE SUIS SÛRE QU’ELLE AURAIT ADORÉ MON IDÉE.

MERCI DE VOTRE ATTENTION.

Σπ AKA MOTHER CHAOS”

Va savoir pourquoi, ils n’ont jamais répondu.

Tribune de Virginie Despentes sur le mariage gay

Voici le texte intégral de la tribune de Virginie Despentes publiée dans Têtu en novembre 2012, en réponse à la déclaration de Lionel Jospin contre le mariage pour tous. L’article n’étant plus disponible sur le site de Têtu, je choisis de le publier ici.

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« Alors, cette semaine, c’est Lionel Jospin qui s’y colle. Il trouve qu’on n’entend pas assez de conneries comme ça, sur le mariage gay, il y va de son solo perso. Tranquille, hein, c’est sans homophobie. Il n’a pas dit qu’on avait le droit de casser du pédé ou de pourrir la vie des bébés gouines au lycée, non, juste, il tenait à signaler : attention, avec le mariage, on pousse mémé dans les orties. « L’humanité est structurée sur le rapport hommes femmes. » Juste, sans homophobie : les gouines et les pédés ne font pas vraiment partie de l’humanité. Ils ne sont pourtant pas stériles – mais comme ils ne vivent pas en couple, ce n’est pas de l’humain pur jus, pas de l’humain-humain comme l’est monsieur Jospin.

Ce n’est pas super délicat pour les célibataires et les gens sans enfants, son truc, mais Jospin est comme ça : il a une idée forte de ce qu’est l’humanité, et l’humanité, c’est les femmes et les hommes qui vivent ensemble, copulent et produisent des enfants pour la patrie. C’est dommage pour les femmes, vu que, in fine, cette humanité là, c’est l’histoire de comment elles en ont pris plein la gueule pendant des millénaires, mais c’est l’humanité, que veux tu, on la changera pas. Et il faut bien l’admettre : il y a d’une part la grande humanité, qui peut prétendre aux institutions, et de l’autre, une caste moins noble, moins humaine. Celle qui devrait s’estimer heureuse de ne pas être persécutée, qu’elle ne vienne pas, en plus, réclamer des droits à l’état. Mais c’est dit sans animosité, hein, sans homophobie, juste : l’humanité, certains d’entre nous en font moins partie que d’autre. Proust, Genet, Leduc, Wittig, au hasard : moins humains que des hétéros. Donc, selon Lionel Jospin, il faut que je comprenne, et que je n’aille pas mal le prendre : depuis que je ne suce plus de bite, je compte moins. Je ne devrais plus réclamer les mêmes droits. C’est quasiment une question de bon sens.

Il y a d’une part la grande humanité, qui peut prétendre aux institutions, et de l’autre, une caste moins noble, moins humaine.

Mais c’est dit sans homophobie, c’est ça qui est bien. Comme tous les hétéros qui ont quelque chose à dire contre le mariage gay. C’est davantage le bon sens que l’homophobie qui les pousse à s’exprimer. Dans ce débat, personne n’est homophobe. Ils sont juste contre l’égalité des droits. Et dans la bouche de Jospin on comprend bien : non seulement contre l’égalité des droits entre homos et hétéros, mais aussi contre l’égalité des droits entre femmes et hommes. Parce qu’on est bien d’accord que tant qu’on restera cramponnés à ces catégories là, on ne sera jamais égaux.

Je m’étais déjà dit que je ne me voyais pas « femme » comme le sont les « femmes » qui couchent gratos avec des mecs comme lui, mais jusqu’à cette déclaration, je n’avais pas encore pensé à ne plus me définir comme faisant partie de l’humanité. Ça va me prendre un moment avant de m’y faire. C’est parce que je suis devenue lesbienne trop tard, probablement. Je ne suis pas encore habituée à ce qu’on me remette à ma place toutes les cinq minutes. Ma nouvelle place, celle des tolérés.

Au départ, cette histoire de mariage, j’en avais moitié rien à faire – mais à force de les entendre, tous, sans homophobie, nous rappeler qu’on ne vaut pas ce que vaut un hétéro, ça commence à m’intéresser.

Je ne sais pas ce que Lionel Jospin entend par l’humanité. Il n’y a pas si longtemps, une femme qui tombait enceinte hors mariage était une paria. Si elle tombait enceinte d’un homme marié à une autre, au nom de la dignité humaine on lui faisait vivre l’enfer sur terre. On pouvait même envisager de la brûler comme sorcière. On en a fait monter sur le bûcher pour moins que ça. On pouvait la chasser du village à coups de pierre. L’enfant était un bâtard, un moins que rien. Bon, quelques décennies plus tard, on ne trouve plus rien à y redire. Est-on devenus moins humains pour autant, selon Lionel Jospin ? L’humanité y a t-elle perdu tant que ça ? A quel moment de l’évolution doit on bloquer le curseur de la tolérance ?

Jospin, comme beaucoup d’opposants au mariage gay, est un homme divorcé. Cet arrangement avec le serment du mariage fait partie des évolutions heureuses.

Jospin, comme beaucoup d’opposants au mariage gay, est un homme divorcé. Comme Copé, Le Pen, Sarkozy, Dati et tuti quanti. Cet arrangement avec le serment du mariage fait partie des évolutions heureuses. Les enfants de divorcés se fadent des beaux parents par pelletées, alors chez eux ce n’est plus un papa et une maman, c’est tout de suite la collectivité. On sait que les hétérosexuels divorcent plus facilement qu’ils ne changent de voiture. On sait que l’adultère est un sport courant (qu’on lise sur internet les commentaires d’hétéros après la démission de Petraeus pour avoir trompé sa femme et on comprendra l’importance de la monogamie en hétérosexualité – ils n’y croient pas une seule seconde, on trompe comme on respire, et on trouve inadmissible que qui que ce soit s’en mêle) et on sait d’expérience qu’ils ne pensent pas que faire des enfants hors mariage soit un problème. Ils peuvent même faire des enfants hors mariage, tout en étant mariés, et tout le monde trouve ça formidable. Très bien. Moi je suis pour tout ce qui est punk rock, alors cette idée d’une immense partouze à l’amiable, franchement, je trouve ça super seyant. Mais pourquoi tant de souplesse morale quand ce sont les hétéros qui se torchent le cul avec le serment du mariage, et cette rigidité indignée quand il s’agit des homosexuels ? On salirait l’institution ? On la dévoierait ? Mais les gars, même en y mettant tout le destroy du monde, on ne la dévoiera jamais d’avantage que ce que vous avez déjà fait, c’est perdu d’avance… dans l’état où on le trouve, le mariage, ce qui est exceptionnel c’est qu’on accepte de s’en servir. Le Vatican brandit la polygamie – comme quoi les gouines et les bougnoules, un seul sac fera bien l’affaire, mais c’est ni raciste ni homophobe, soyons subtils, n’empêche qu’on sait que les filles voilées non plus ne font pas partie de l’humanité telle que la conçoit cette gauche là, mais passons – ne vous en faites pas pour la polygamie : vous y êtes déjà. Quand un bonhomme paye trois pensions alimentaires, c’est quoi, sinon une forme de polygamie ? Que les cathos s’occupent d’excommunier tous ceux qui ne respectent pas l’institution, qu’ils s’occupent des comportements des mariés à l’église, ça les occupera tellement d’y mettre un peu d’ordre qu’ils n’auront plus de temps à perdre avec des couples qui demandent le mariage devant le maire.

Et c’est pareil, pour les enfants, ne vous en faites pas pour ça : on ne pourra pas se comporter plus vilainement que vous ne le faites. Être des parents plus sordides, plus inattentifs, plus égoïstes, plus j’m’enfoutistes, plus névrosés et toxiques – impossible. Tranquillisez vous avec tout ça. Le pire, vous vous en occupez déjà très bien.

Tout ça, sans compter que l’humanité en subit d’autres, des outrages, autrement plus graves, en ce moment, les gouines et les pédés n’y sont pour rien, je trouve Lionel Jospin mal organisé dans ses priorités de crispation. Il y a, en 2012, des atteintes à la morale autrement plus brutales et difficiles à admettre que l’idée que deux femmes veulent se marier entre elles. Qu’est-ce que ça peut faire ? Je sais, je comprends, ça gêne l’oppresseur quand deux chiennes oublient le collier, ça gêne pour les maintenir sous le joug de l’hétérosexualité, c’est ennuyeux, on les tient moins bien. Parfois la victime n’a pas envie de se laisser faire en remerciant son bourreau, je pensais qu’une formation socialiste permettrait de le comprendre. Mais non, certaines formations socialistes amènent à diviser les êtres humains en deux catégories : les vrais humains, et ceux qui devraient se cacher et se taire.

J’ai l’impression qu’en tombant amoureuse d’une fille (qui, de toute façon, refuse de se reconnaître en tant que femme, mais je vais laisser ça de côté pour ne pas faire dérailler la machine à trier les humains-moins humains de Lionel Jospin) j’ai perdu une moitié de ma citoyenneté. J’ai l’impression d’être punie. Et je ne vois pas comment le comprendre autrement. Je suis punie de ne plus être une hétérote, humaine à cent pour cent. Pendant trente cinq ans, j’avais les pleins droits, maintenant je dois me contenter d’une moitié de droits. Ça me chagrine que l’État mette autant de temps à faire savoir à Lionel Jospin et ses amis catholiques qu’ils peuvent le penser, mais que la loi n’a pas à être de leur côté.

L’institution du mariage, on ne la dévoiera jamais d’avantage que ce que vous avez déjà fait. Dans l’état où on le trouve, le mariage, ce qui est exceptionnel c’est qu’on accepte de s’en servir.

Si demain on m’annonce que j’ai une tumeur au cerveau et qu’en six mois ce sera plié, moi je ne dispose d’aucun contrat facile à signer avec la personne avec qui je vis depuis huit ans pour m’assurer que tout ce qui est chez nous sera à elle. Si c’est la mort qui nous sépare, tout ce qui m’appartient lui appartient, à elle. Si j’étais hétéro ce serait réglé en cinq minutes : un tour à la mairie et tout ce qui est à moi est à elle. Et vice versa. Mais je suis gouine. Donc, selon Lionel Jospin, c’est normal que ma succession soit difficile à établir. Qu’on puisse la contester. Ou qu’elle doive payer soixante pour cent d’impôts pour y toucher. Une petite taxe non homophobe, mais qu’on est les seuls à devoir payer alors qu’on vit en couple. Que n’importe qui de ma famille puisse contester son droit à gérer ce que je laisse, c’est normal, c’est le prix à payer pour la non-hétérosexualité. La personne avec qui je vis depuis huit ans est la seule personne qui sache ce que j’ai dans mon ordinateur et ce que je voudrais en faire. J’aimerais, s’il m’arrivait quelque chose, savoir qu’elle sera la personne qui gérera ce que je laisse. Comme le font les hétéros. Monsieur Jospin, comme les autres hétéros, si demain le démon de minuit le saisit et lui retourne les sangs, peut s’assurer que n’importe quelle petite hétéro touchera sa part de l’héritage. Je veux avoir le même droit. Je veux les mêmes droits que lui et ses hétérotes, je veux exactement les mêmes. Je paye les mêmes impôts qu’un humain hétéro, j’ai les mêmes devoirs, je veux les mêmes droits – je me contre tape de savoir si Lionel Jospin et ses collègues non homophobes mais quand même conscients que la pédalerie doit avoir un prix social, m’incluent ou pas dans leur conception de l’humanité, je veux que l’État lui fasse savoir que je suis une humaine, au même titre que les autres. Même sans bite dans le cul. Même si je ne fournis pas de gamin à mon pays.

La question de l’héritage est centrale dans l’institution du mariage. Les sourds, les aveugles et les mal formés pendant longtemps n’ont pas pu hériter. Ils n’étaient pas assez humains. Me paraît heureux qu’on en ait fini avec ça. Les femmes non plus n’héritaient pas. Elles n’avaient pas d’âme. Leurs organes reproducteurs les empêchaient de s’occuper des affaires de la cité. Encore des Jospin dans la salle, à l’époque ils s’appelaient Proudhon. J’ai envie de vivre dans un pays où on ne laisse pas les Jospin faire le tri de qui accède à l’humanité et qui doit rester dans la honte.

Je ne vois aucun autre mot qu’homophobie pour décrire ce que je ressens d’hostilité à mon endroit, depuis quelques mois qu’a commencé ce débat. J’ai grandi hétéro, en trouvant normal d’avoir les mêmes droits que tout le monde. Je vieillis gouine, et je n’aime pas la sensation de ces vieux velus penchés sur mon cas et me déclarant « déviante ». J’aimais bien pouvoir me marier et ne pas le faire. Personne n’a à scruter à la loupe avec qui je dors avec qui je vis. Je n’ai pas à me sentir punie parce que j’échappe à l’hétérosexualité.

J’ai envie de vivre dans un pays où on ne laisse pas les Jospin faire le tri de qui accède à l’humanité et qui doit rester dans la honte.

Moi je vous fous la paix, tous, avec vos mariages pourris. Avec vos gamins qui ne fêteront plus jamais Noël en famille, avec toute la famille, parce qu’elle est pétée en deux, en quatre, en dix. Arrangez vous avec votre putain d’hétérosexualité comme ça vous chante, trouvez des connes pour vous sucer la pine en disant que c’est génial de le faire gratos avant de vous faire cracher au bassinet en pensions compensatoires. Vivez vos vies de merde comme vous l’entendez, et donnez moi les droits de vivre la mienne, comme je l’entends, avec les mêmes devoirs et les mêmes compensations que vous.

Et de la même façon, pitié, arrêtez les âneries des psys sur les enfants adoptés qui doivent pouvoir s’imaginer que leurs deux parents les ont conçus ensemble. Pour les enfants adoptés par un parent seul, c’est ignoble de vous entendre déblatérer. Mais surtout, arrêtez de croire qu’un petit Coréen ou un petit Haïtien regarde ses deux parents caucasiens en imaginant qu’il est sorti de leurs ventres. Il est adopté, ça se passe bien ou ça se passe mal mais il sait très bien qu’il n’est pas l’enfant de ce couple. Arrêtez de nous bassiner avec le modèle père et mère quand on sait que la plupart des enfants grandissent autrement, et que ça a toujours été comme ça. Quand les dirigeants déclarent une guerre, ils se foutent de savoir qu’ils préparent une génération d’orphelins de pères. Arrêtez de vous raconter des histoires comme quoi l’hétérosexualité à l’occidentale est la seule façon de vivre ensemble, que c’est la seule façon de faire partie de l’humanité. Vous grimpez sur le dos des gouines et des pédés pour chanter vos louanges. Il n’y a pas de quoi, et on n’est pas là pour ça. Vos vies dans l’ensemble sont plutôt merdiques, vos vies amoureuses sont plutôt calamiteuses, arrêtez de croire que ça ne se voit pas.

Laissez les gouines et les pédés gérer leurs vies comme ils l’entendent.
Personne n’a envie de prendre modèle sur vous.
Occupez-vous plutôt de construire plus d’abris pour les SDF que de prisons, ça, ça changera la vie de tout le monde.
Dormir sur un carton et ne pas savoir où aller pisser n’est pas un choix de vie, c’est une terreur politique, je m’étonne de ce que le mariage vous obnubile autant, que ce soit chez Jospin ou au Vatican, alors que la misère vous paraît à ce point supportable. »

Virginie Despentes